Des médecins cubains
au service des pauvres au Brésil
Un pays destiné à devenir un facteur
des plus importants dans le développement
ultérieur de notre monde...
—Stefan Zweig, Le Brésil, terre d’avenir (1941)
Lisanka Gonzalez Suarez
Photos Anabel Diaz Mena
IL est 14 h, c'est comme si ce n'était pas dimanche,
jour de repos et d'accalmie. L'Unité centrale de
coopération médicale (UCCM) habituellement tranquille en
ce jour, est en pleine effervescence, avec des femmes et
des hommes en blouse blanche qui vont et viennent comme
s'ils craignaient de rater leur train.

La
présidente Dilma Rousseff lors d’une
rencontre avec des médecins cubains engagés
dans le programme Mais Médicos. |
Yvonne Rodriguez Garcia, sous-directrice de l'Analyse
et du Système et des services médicaux de l'Unité depuis
bientôt 8 ans, est attentive au mouvement, dont une
grande partie semble se déployer autour d'elle. Mais de
toute évidence, elle garde le contrôle, habituée à
assumer diverses responsabilités dans les services de
santé publique du pays, sans compter deux missions
internationales, au Pakistan et au Honduras qui lui ont
permis d'acquérir l'assurance et le bon sens nécessaires
pour agir efficacement au moment d'une mission
importance et urgente. « Cette semaine, tous les
médecins qui manquent doivent partir », m'explique-t-elle.
(À la sortie de cette publication, ce personnel aura
déjà rejoint les 11 430 médecins cubains qui ont intégré
le programme Mais Médicos depuis le deuxième semestre
2013).
Écartons l'éventualité qu'une telle quantité de
médecins envoyés au Brésil puisse affecter la qualité
des services de santé réservés aux patients cubains,
compte tenu de la réorganisation et des transformations
mises en œuvre dans le système, traduites par tous les
indicateurs : les Cubains sont en bonne santé.
LES PARTICIPANTS AU PROGRAMME
Les médecins qui font partie du programme de
coopération avec le Brésil viennent de l’ensemble du
pays, et tout comme ceux qui ont fait partie des
brigades médicales dans d'autres pays, ils ont été
choisis à partir des propositions des hôpitaux et des
polycliniques où ils travaillent, sur des critères de
volontariat ou de disponibilité réelle, car le
fonctionnement d'un service ne saurait être interrompu.
Par ailleurs, plus de 80% des médecins sélectionnés
possèdent une expérience professionnelle d'au moins 15
ans ; tous ont déjà accompli au moins une mission à
l'étranger, et 30 % d'entre eux en ont accompli
plusieurs.
Au Brésil, ces médecins vont travailler dans le cadre
de la médecine primaire dans 4 070 municipalités des 26
États, plus le district fédéral de Brasilia, et dans 32
districts où vit une population indigène isolée.
En juillet 2013, la présidente Dilma Roussef a
présenté le programme « Davantage d'hôpitaux et d'unités
de santé, davantage de médecins et de formation », qui
selon les informations de la presse répond aux demandes
de la population dans presque tout le pays. D'où la
nécessité de faire appel à des médecins étrangers afin
de renforcer le Système public unique de santé.
Le recrutement de médecins étrangers pour couvrir les
places vacantes dans les zones rurales est une solution
compréhensible, si l'on sait qu'il existe un déficit de
54 000 médecins au Brésil, ce qui touche
particulièrement les nombreuses régions qui ne disposent
d'aucun professionnel de la santé.
À ce sujet, la présidente brésilienne a affirmé le 21
mars que les résultats obtenus par le programme Mais
Médicos confirment le bien-fondé de la décision du
gouvernement, laquelle permet de garantir les soins de
santé dans tout le pays, selon une dépêche de l'agence
Prensa latina.
« Je savais que je serai critiquée, mais j'étais
persuadée que le peuple brésilien comprendrait que nous
sommes sur la bonne voie », a déclaré Dilma Rousseff
lors de l’annonce de l’envoi de médecins brésiliens et
étrangers dans des municipalités à l'intérieur du pays
et à la périphérie des grandes villes, avant de préciser
qu'en avril 13 225 médecins viendraient s'ajouter à ceux
déjà présents, ce qui étendra la couverture à 46
millions de personnes.
DISPERSÉS SUR TOUT LE TERRITOIRE
Les médecins cubains bénéficient de la reconnaissance
internationale non seulement pour leurs compétences
professionnelles, mais aussi pour leurs qualités
humaines. La communauté qui dispose d'un médecin cubain
sait que ses habitants seront soignés sans
discrimination, où que ce soit, même dans des lieux
inhospitaliers et isolés, et même au péril de leur
propre vie.
« Il y a des gens hostiles qui tentent de tirer
profit de certaines situations en les manipulant ou en
les exagérant », explique la docteure Rodriguez, en
abordant le sujet des médecins qui abandonnent la
mission. « Mais que représente un, deux ou trois cas
comparés à l'attitude de plus de 11 000 médecins qui
sont ici ?... La population nous témoigne déjà de la
reconnaissance, et il en est toujours ainsi parce que le
coopérant cubain change même le style et les méthodes de
prise en charge du patient. »
Les professionnels cubains sont dispersés sur
l'ensemble du territoire brésilien ; ils ne sont pas
dans les grandes villes, mais à la périphérie. Ce fut un
principe de la coopération : être présent dans des lieux
isolés et d'accès difficile.
« Le Brésil n'est pas seulement ce que nos voyons
dans les feuilletons télévisées dont nous raffolons.
C'est beaucoup plus que cela, c'est un pays aussi grand
qu'un continent foisonnant de contrastes », souligne
Yvonne, et nos médecins vont où se trouvent les plus
pauvres et les plus nécessiteux, aussi bien en Amazonie
qu'à la périphérie des grandes villes comme São Paulo,
Belo Horizonte, Vitoria, Fortaleza, Bahia et bien
d'autres encore.
Daniel Carvalho, envoyé spécial de la Folha de São
Paulo, dans l'État de Pernambouc, signale dans un
reportage intitulé La demande de médecins à l'intérieur
du pays est gigantesque :
« … La docteure cubaine Teresa Rosales est surprise
par l'accueil de ses patients à Brejo da Madre de Deus,
dans le district de São Domingos, une région pauvre où
la sécheresse sévit à l'intérieur du Pernambouc. Les
patients se mettent à genoux en remerciant Dieu. Ils
l'embrassent. La docteure Rosales a reçu 231 personnes
pendant son premier mois de travail au Brésil dans le
cadre du programme Davantage de médecins.
« Quelque chose d'aussi naturel pour les médecins
cubains, comme soigner un paysan ou un indigène,
l'ausculter pour faire le bon diagnostic, provoque
l'étonnement des patients.
« Durant les quatre dernières années, le cabinet
manquait du plus élémentaire nécessaire : des médecins .
On devait faire des kilomètres sur des chemins de terre
pour arriver au cabinet médical, et on revenait sans
avoir été soigné… Les files d'attentes sont longues.
C'est Dieu qui a envoyé cet homme, disait Maria Silva,
une agricultrice âgée de 69 ans, qui avait consulté un
médecin pour la dernière fois en 2005. Elle s'est dite
impressionnée par la façon dont elle a été soignée par
Nelson Lopez, âgé de 44 ans, le nouveau médecin du
village de Capivara, à Frei Miguelinho.
Et Carvalho fait remarquer : « La différence
s'observe déjà dans l'agencement des meubles : le
patient s'assied sur une chaise à côté de la table du
médecin, afin que le bureau ne soit pas une barrière
entre eux ».
Nous ne sommes pas surpris que la présidente du
Brésil ait recommandé récemment sur son réseau Facebook
un article publié dans le quotidien G1 de l'État de
Bahia, dans lequel elle explique le travail des médecins
cubains dans cette région.
NOUS NE RENONCERONS JAMAIS À LA SOLIDARITÉ
Le président Raul Castro a insisté pendant le Congrès
récent de la Centrale des travailleurs de Cuba sur
l'importance de la coopération médicale pour l'économie
du pays, et il a annoncé que les personnels de la Santé
publique verraient leur salaire augmenté « car,
actuellement le revenu essentiel du pays provient du
travail de milliers de médecins qui prêtent leur service
à l'étranger ». Une augmentation conséquente qui devrait
être effective à partir du 1er juin, selon une
information de la presse ces derniers jours.
« Je dis souvent, affirme la responsable de l'Unité
centrale de coopération médicale, que si la coopération
médicale est la première ressource économique du pays,
nous le devons à la vision de notre commandant Fidel. Je
me souviens du jour où il a dit que nous n'avions ni or
ni pétrole, mais nous avions un personnel bien formé,
bien éduqué et avec l'entière capacité d'aider les
autres. En réalité, ce que fait un médecin cubain à
l'étranger n'a pas de prix, mais si nous aidons de
manière directe, c'est une excellente chose. Aujourd'hui
les circonstances sont différentes, nous ne renoncerons
jamais à la solidarité ».
COMME NOUS L'AVONS TOUJOURS FAIT
• DIOVASNY Junco Bringa, 43 ans, de Santa Clara,
province de Villa Clara, spécialiste en médecine
générale, 20 ans d'expérience. Il a été directeur de la
polyclinique 20e Anniversaire de Santa Clara.
Il a accompli une mission à Belize et au Venezuela.
« Ce qui nous manque le plus, c'est la famille »,
indique Diosvany, qui sera le porte drapeau lors de la
cérémonie d'adieux au groupe qui partira le lendemain.
De ses deux missions, il conserve des souvenirs
impérissables, même si ses deux expériences ont été très
différentes. À Belize, il a travaillé dans un hôpital de
la capitale et il explique combien il a été décontenancé
face à la langue qui a été un vrai défi… Mais il l'a
vaincu parce que les Cubains savent affronter les
difficultés. « Le Venezuela a été une véritable école
pour moi ; j'ai commencé comme médecin dans un cabinet à
Zulia, à Maracaibo, ensuite j'ai été conseiller dans un
cabinet de médecins populaires et, plus tard, j'ai
assumé d'autres responsabilités, comme responsable des
missions dans cet État. »
Ses attentes concernant sa mission au Brésil : « Le
Brésil, comme le Venezuela, est un pays de grands
contrastes, avec une population immense qui aujourd'hui
est négligée sur le plan médical. Il possède un nombre
important de professionnels de la santé mais ils sont
concentrés dans les capitales et ne vont pas dans les
quartiers de la périphérie. C'est là que nous allons,
comme nous l'avons toujours fait ».
JE SAIS QUE LE PEUPLE VA NOUS ADOPTER
• BELSYS Acosta Cabrera, spécialiste en médecine
générale intégrale de Santa Clara, province de Villa
Clara, 32 ans, médecin de la polyclinique 20e
Anniversaire. Elle a accompli sa mission au Venezuela
pendant 5 ans, dans le cadre du travail communautaire.

Les
médecins Belsys et Diosnavy, mariés depuis 7
ans, ont repoussé le moment de fonder une
famille. |
« Quand nous somme revenus, Diosvany et moi, nous
avions l'intention de fonder une famille, car nous
n'avions pas d'enfant, mais nous avons décidé d'attendre
encore trois ans. Nous sommes jeunes et nous nous aimons,
nous avons le temps.
« Nous apprenons bien la langue, même si je ne sais
pas où nous allons, mais je sais que nous devons
travailler avec des patients de la communauté et qu'à
notre arrivée, et après avoir reçu un cours de portugais
médical, nous serons évalués.
« Nous n'allons pas dans les villes mais dans des
zones rurales, et comme toujours, je sais que le peuple
va nous adopter.
« Ce qui nous manque le plus, c'est la famille et
aussi tout le reste, les habitudes, tout… L'expérience
de participer à une mission nous rend fort avant tout et
nous donne plus de sécurité ».
CHANGER LES MAUVAISES HABITUDES POUR LA SANTÉ
• JUAN Carlos Cabrales Arias, 47 ans, d'Arroyo
Naranjo, La Havane, spécialiste en médecine générale
intégrale.
« On a toujours de grands espoirs en ce qui concerne
les missions, bien que je sois déjà allé au Venezuela où
je suis resté plus de 7 ans jusqu'en 2011. À mon retour,
j'ai travaillé à la direction provinciale de la Santé de
La Havane.
« Au Brésil, j'ai l'intention de travailler, dans la
mesure du possible, dans le domaine de la promotion de
la santé et de l'éducation, sans modifier le mode de vie
des habitants, aider à supprimer certaines mauvaises
habitudes pour la santé qui sont les mêmes dans le monde
entier. Au Venezuela, nous étions pratiquement seuls à
le faire. Avec le temps, de animateurs ont été formés
dans la communauté, des jeunes qui nous aidaient dans ce
travail. C'est important, sans changer leurs coutumes,
avec beaucoup de respect, mais en les orientant et en
les aidant. Le principal problème du Brésil actuellement,
c'est qu'il n'y a pas de personnel médical dans certains
lieux, mais il possède une équipe de base qui connaît
bien la population ».
• AVEC une superficie de plus de 8,5 millions de km2
et plus de 200 millions d'habitants, le géant du Sud est
le cinquième pays le plus peuplé du monde.
• La densité de médecins est de 1,72 pour 1 000
habitants selon l'Organiation mondiale de la santé et de
2,4 lits hospitaliers pour 1 000 habitants.
• L'immense territoire du Brésil comprend différents
écosystèmes, comme l'Amazonie, reconnue comme la forêt
tropicale la plus riche et biodiversifiée de la planète.
• Selon un rapport du Fonds des Nations Unies pour
l'enfance (UNICEF), l'indice de mortalité infantile
brésilien, qui en 1990 était de 62 pour 1 000 nouveau-nés,
est tombé à 14 pour 1 000 en 2012.
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