Juan Manuel Karg
UNE nouvelle configuration politique semble se
dessiner en Uruguay à la veille du second tour de
l’élection présidentielle du 30 novembre prochain.
Même si l'ancien président Tabaré Vazquez, candidat
du Frente Amplio (Front élargi) au pouvoir, avait failli
l’emporter avec 47,9% des suffrages au premier tour, le
soutien apporté par le Parti Colorado à son adversaire,
le candidat de centre-droit Luis Lacalle Pou (Parti
National), est un signe que les forces traditionnelles
se préparent pour barrer la route au programme du Front
élargi.
Lors d’une réunion de son Comité exécutif, le Parti
Colorado, qui n’a décroché que 12,9% des voix – il a
perdu 4% des électeurs par rapport à 2009 –, a annoncé
sa décision d’épauler Lacalle Pou. Rappelons que le
référendum organisé parallèlement à l’élection, à
l'initiative du Parti Colorado pour abaisser à 16 ans
l'âge de la responsabilité pénale en matière criminelle
avait été rejetée, n'ayant obtenu que 47,14% de oui.
Le dimanche 26 octobre, à l’annonce des résultats
défavorables au premier tour des élections, le candidat
du Parti Colorado, Pedro Bordaberry, a déclaré sans
ambages à propos de Luis Lacalle : « Je travaillerai
chaque heure pendant les 34 prochains jours pour que
Lacalle gagne le second tour. »
Il y a eu ensuite l’onde de choc provoquée par ses
propos captés par des micros situés dans le bunker Parti
national, lorsqu’il s’est exclamé « je suis venu pour
vous aider à réduire en merde Tabaré Vazquez ».
Ces actions – le soutien subit à Lacalle Pou,
l’affaire des micros et, surtout, le piètre résultat du
scrutin– ont généré des fissures au sein du parti, au
point qu’Alberto Iglesias, membre du Comité exécutif, a
démissionné de son poste.
Pour sa part, le Front élargi, exultant devant le
verdict des urnes, et surtout de s’être pratiquement
assuré la majorité au Congrès – 50 députés et 15
sénateurs (en plus du vice-président du Sénat, qui ne
serait autre que Raul Sendic fils) – a annoncé une « convocation
citoyenne » en vue du second tour, selon Monica
Xavier, présidente du Parti. Cette proposition s’inscrit
dans le cadre des déclarations de Tabaré Vazquez, qui
entend s’assurer le soutien des partisans de Batlle et
de Wilson – des tendances historiques au sein des partis
Colorado et National –, plus proches idéologiquement du
Front élargi que le reste des membres.
Le démissionnaire Iglesias est issu précisément de
cette tradition « batlliste », ce qui prouve
qu’il est utile au Front élargi pour lui permettre de
s’assurer de futurs votants, y compris au sein des
partis traditionnels uruguayens.
La gauche uruguayenne devrait donc décrocher fin
novembre un troisième mandat présidentiel consécutif
assorti d'une majorité parlementaire. Le candidat à la
présidence Tabaré Vazquez et de son coéquipier
Raul Sendic pourront en outre se payer le luxe d’opter
pour une campagne moins intense que celle du premier
tour, « pour ne pas saturer l’ambiance », comme
l’a fait remarquer il y a quelques jours la présidente
du Parti Monica Xavier.
Quant au Parti national, campé sous son slogan « L’Uruguay
uni pour la positive », il a promis ne pas baisser
les bras, en dépit de la difficulté que représente un
scrutin pratiquement perdu d'avance et ses maigres
chances d’inverser la volonté populaire, clairement
exprimée le 26 octobre, tant aux présidentielles qu’aux
législatives, ainsi qu’au référendum visant à baisse
l’âge de responsabilité des mineurs, surtout si l’on
sait que le Front élargi ayant été le seul parti
important qui a appelé à voter contre, à travers son
slogan « No a la baja » (Non à la baisse).
« J’ai été surpris par le vote du Front élargi. Je
ne l’ai pas vu venir », a déclaré Lacalle Pou,
ajoutant qu’ « il sera très difficile de gagner le
second tour ».
D’autre part, au sein de l’équipe du gouvernement du
président sortant José Mujica, qui à ce scrutin a été
élu sénateur, l’on s’est félicité des résultats du
premier tour, qui constituent une reconnaissance par les
urnes de la gestion du Front élargi au cours de ces
quatre dernières années.
Ce dernier scrutin a également représenté une
victoire du Mouvement de participation populaire, de
l’ancien guérillero tupamaro devenu président, ainsi que
des sept autres partis de gauche regroupés au sein du
Front élargi.
Mujica apparaît par conséquent comme l’un des grands
vainqueurs au sein de cette coalition, favorite pour un
troisième mandat présidentiel en Uruguay.
Ces dernières semaines seront importantes pour les
Uruguayens, et pour les aspirations de continuité du
Front élargi, auquel les sondages attribuent près de 56%
des intentions de votes et dont la cote ne cesse
d’augmenter. (Tiré de Rebelion).
Les statistiques économiques de base impressionnent :
au cours des quatre dernières années, l’économie a
enregistré une croissance de 5,5%, le taux de pauvreté a
baissé de 34% (2006) à 11,5% (2013), le chômage a
enregistré un plancher historique de 6%, et le pays a
reçu le prix « Investment grade ». Les
investissements étrangers augmentent et les bons
uruguayens jouissent d’une forte demande.
L’Uruguay, pays de 3,4 millions d’habitants situé
entre l’Argentine, se définit lui-même comme un centre
logistique régional qui met à la disposition des pays
voisins, mais aussi de la Bolivie et du Paraguay, ses
ports, aéroports et routes de transport. Des entreprises
de logiciels et douze zones de libre commerce
constituent un important pilier économique.
L’approvisionnement énergétique s’améliore à pas de
géant, avec un accent particulier sur les sources
renouvelables. L’industrie forestière se développe,
permettant au pays d’exporter d’importants volumes de
cellulose. L’Uruguay bénéficie d’un boom du tourisme,
qui représente déjà 10% du Produit intérieur brut (PIB)
et cette industrie devrait s’accroître de 15% au cours
des 20 prochaines années.