Inde
: un temple de respect
pour le monde
Oscar Sanchez
Serra
TILONIA, en plein milieu du désert du
Thar, dans le Rajasthan, à environ sept
heures de Delhi, la capitale de l’Inde, est
le siège d’un projet qui, au cours des 42
dernières années, s’est distingué par son
amour pour l’Humanité, le Barefoot
College – littéralement le collège aux
pieds nus –, un havre de paix et un temple
de respect pour ce monde de plus en plus
menacé par l’espèce humaine.
Dans ce lieu, sous les idéaux de Gandhi,
sont pris en charge, éduqués et soutenues
des personnes aux maigres ressources pour
leur apprendre à créer un mode de vie
durable dans leurs villages et leurs
communautés.
Parmi les objectifs de l’établissement
figure l’apport de moyens d’existence
stables et l’autonomisation de la femme,
mère et grand-mère, pilier de la famille et
de la société.
« Un vieux proverbe oriental dit
qu’éduquer un petit garçon, c’est former un
homme. Mais éduquer une petite fille c’est
former tout un village », a déclaré à
Granma international Rodrigo Paris,
représentant du Barefoot College pour
l’Amérique latine et la Caraïbe.
Comment cette idée est-elle née ?
L’institution fut fondée en 1972 par un
militant social et éducateur du nom de
Bunker Roy, dans le souci de promouvoir les
valeurs et les idéaux de Gandhi. Il reçut
une bonne éducation au sein de sa famille,
et au lieu de suivre les pas de ses aînés,
de trouver un emploi pour gagner de
l’argent, il décida de miser sur le travail
social au service des personnes aux moindres
revenus. Il a créé une école, où il vit et
travaille pour venir en aide à ces gens.
Pourquoi des femmes de plus de 35 ans ?
Elles sont le centre de la famille et de
la communauté. Plus de 35 ans, parce
qu’elles ont des enfants, elles pensent en
tant que mères et ont de fortes racines dans
leur communauté. À cet âge, la femme ne
pense pas seulement à son propre bien-être
mais à celui de ses enfants et de sa
communauté, à l’avenir. Les mères vivant en
milieu rural sont plus attachées à leur
communauté, ce qui permet de conserver les
connaissances et les technologies dans la
communauté. Elles partagent leurs savoirs
spécialisés, assurant ainsi la durabilité
des projets. Les emplois verts offrent aux
femmes de vastes possibilités d’apporter des
ressources supplémentaires à leur famille et
à leur communauté. Le programme principal du
Barefoot College est axé sur
l’énergie solaire. La plupart des stagiaires
à Tilonia proviennent de régions rurales du
monde entier, où il n’y a pas d’électricité.
C’est justement l’une des valeurs phares de
l’institution : l’enseignement de
l’utilisation des sources renouvelables
d’énergie dans un monde caractérisé par ses
nombreuses agressions à l’environnement.
Quelle est la durée de la formation ?
Les cours ont commencé par un programme
de formation à l’ingénierie solaire d’une
durée de six mois, à l’intention de
villageoises illettrées. Le programme
accueille une quarantaine de femmes venues
d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique et
d’Océanie. Les stagiaires n’ont pas de
langue en commun. Les femmes apprennent à
identifier les pièces par leur forme et leur
couleur, à acquérir les compétences
nécessaires en suivant des instructions
mimées et à exécuter des tâches techniques
en suivant des exemples. Ce projet s’est
avéré être une belle réussite écologique,
sociale et environnementale. Titulaires de
leur diplôme de BSE (Barefoot solar
engineers), les villageoises repartent
avec un sentiment partagé de satisfaction et
de nostalgie. Elles se sont fait des amies
parmi des femmes venues d’ailleurs et se
sont imprégnées de la culture indienne.
Elles ont compris que l’éducation est un
trésor et deviennent un exemple
extraordinaire pour leurs enfants et leurs
petits-enfants.
Les premières femmes latino-américaines
venaient de communautés pauvres du Paraguay.
Elles étaient handicapées et se déplaçaient
en chaise roulante, ce qui ne les a pas
empêchées de devenir de véritables
ingénieurs en énergie solaire. Quant aux
Haïtiennes, elles ont apporté leur musique,
et dans les moments de pause, elles ont fait
partager leurs chants et leurs danses. Ce
projet permet de mettre en valeur la
diversité et la richesse culturelle des pays
représentés, par-delà la couleur de peau, la
langue, la religion ou les origines.
Depuis le mois de septembre dernier,
Acelia Arias Reyes et Mileidis Fonseca
Oliva, deux Cubaines de la province de
Granma, dans l’est de l’Île, sont au
Barefoot College pour enrichir leur
expérience dans l’utilisation de l’énergie
solaire en tant que source d’électricité, un
projet qu’elles mènent dans le village de
Magdalena, non loin de la ville de Bayamo.
À l’instar du reste des participantes,
elles ne parlent pas anglais, mais elles ont
suivi des cours élémentaires dans le cadre
du système national d’enseignement
cubain. Pour la première fois, elles ont
pris l’avion pour se rendre à l’autre bout
du monde.
Elles ont débarqué en Inde avec la même
soif de savoir que les autres stagiaires, et
animées par la philosophie de Mahatma Gandhi
contenue dans cette phrase d’une grande
sagesse : « Vis comme si tu devais mourir
demain, apprends comme si le monde devait
durer toujours ».
L’initiative du Barefoot College
est un exemple pour le monde, dans un pays
qui représente aujourd’hui l’une des
économies émergentes les plus importantes de
la planète, et qui est membre du groupe des
BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et
Afrique du Sud). L’Inde, depuis Tilonia,
nous fait découvrir l’une des plus belles
expressions de la coopération Sud-Sud qui
trouve son essence dans une autre citation
de Gandhi : « L’amour est la force la
plus puissante que possède le monde, et
pourtant elle est la plus humble que l’on
puisse imaginer ».