Chine et
Russie, une alliance ?
Xulio
Rios
PEUT-ON affirmer qu’une alliance est née
à Shanghai entre la Chine et la Russie ?
Nous assistons sans aucun doute à une
avancée substantielle de la coopération
stratégique. Dans la conception de la
politique extérieure chinoise, les
associations de haut niveau élaborées dans
l’intérêt de leur propre développement et de
la situation internationale ne prévoient pas
d’alliances de type traditionnel reposant
essentiellement sur la conception militaire
et l’assistance face à des pays tiers. Même
sur le plan politique, il faudra faire
montre de prudence, car il sera aussi
difficile pour la Chine d’appuyer tous et
chacun des pas de la Russie, comme par
exemple dans la crise ukrainienne, qu’il ne
le sera pour la Russie de seconder les
actions de la Chine dans son contentieux
avec le Japon, pour n’en citer que deux
exemples.

Les présidents Vladimir Poutine
et Xi Jinping ont présidé à
Shanghai la signature d’un méga-contrat
d’approvisionnement gazier entre
Gazprom et le géant pétrolier
chinois CNPC, qui porte sur un
montant de 400 milliards de
dollars et sur une durée de 30
ans. |
Précaution mise à part, il est
incontestable que la coopération entre les
deux pays est entrée dans une nouvelle ère
cette année avec cette deuxième rencontre
entre Xi Jinping et Vladimir Poutine qui se
sont accordés des préférences mutuelles en
matière de politique extérieure.
Au terme de la signature du contrat de
fourniture de gaz russe à la Chine (estimé à
plus de 400 milliards de dollars, le plus
important jamais conclu par le géant russe
Gazprom) d’autres engagements économiques de
grande envergure concernent des secteurs
tels que l’industrie aéronautique civile (ce
projet renforce les positions de ces deux
pays dans la concurrence avec le monopole de
Boeing et d’Airbus), la construction,
l’industrie automobile, le secteur spatial,
les transports, les infrastructures (dont le
projet d’un grand pont sur le fleuve Amour,
la première ligne ferroviaire entre les deux
pays), la création de zones économiques
spéciales en Sibérie et dans l’Extrême-Orient,
l’augmentation des échanges réciproques de
devises, etc. Tous ces programmes devraient
se traduire par une augmentation importante
du volume commercial et des investissements,
qui actuellement sont en deçà de leur
potentiel. Si les échanges commerciaux
avaient atteint les 90 milliards de dollars
en 2013, les deux pays ont à présent pour
ambition de faire passer ce volume à 200
milliards de dollars en 2020.
Si ces deux pays parviennent à
diversifier leur commerce et à dépasser la
dynamique de l’énergie en mettant davantage
en valeur la complémentarité de leurs
économies avec la production de biens
industriels et de haute technologie en
formant des alliances dans ces secteurs, la
Russie pourra non seulement réduire sa
dépendance au marché européen, une question
conjoncturelle qui pourrait l’inquiéter du
fait de la crise en Ukraine, mais il lui
sera aussi possible d’opérer des changements
substantiels dans ses relations économiques
avec la Chine.
Les deux parties se doivent encore de
gommer quelques aspérités pour parvenir à
d’autres accords d’une portée considérable,
comme la revitalisation de la Route de la
soie proposée par Pékin à l’Union
euro-asiatique, appuyée par la Russie. Ou
les projets prévus dans les régions
sibériennes, où l’asymétrie géographique
pourrait suggérer des garanties spécifiques.
C’est aussi le cas des relations respectives
complexes que la Chine et la Russie
entretiennent avec des pays d’un poids
économique important.
En plus de la coopération énergétique
stratégique et économique, le facteur
géopolitique joue un rôle clé dans cette
nouvelle étape de rapprochement bilatéral. À
l’heure d’évaluer les tendances globales et
le rôle de l’Occident en tant qu’instigateur
de sa contention, l’entente russo-chinoise
pourrait avoir des conséquences dans le
cadre de l’Organisation de coopération de
Shanghai, mais aussi au sein du G20 et
d’autres réunions multilatérales, où une
position commune contre l’unilatéralisme et
l’hégémonisme pourrait aboutir à des actions
concrètes permettant de contrecarrer la
capacité de leurs adversaires stratégiques.
Dans le communiqué bilatéral, les deux
parties ont confirmé leur volonté de
résister à l’« ingérence extérieure » et aux
« sanctions unilatérales », soulignant le
préjudice causé à leurs pays par le mauvais
usage des nouvelles technologies de
l’information et exigeant
l’internationalisation de leur gestion
(Internet). Par ailleurs, elles ont
revendiqué leur droit à préserver leur
système politique et de valeurs, ainsi que
leur voie de développement.
La coopération militaire progresse
également à bon rythme, même si les deux
parties veulent éviter de donner une
impression trompeuse. La séquence
d’exercices de coopération navale comme ceux
réalisés en Mer de Chine orientale est
accompagnée de mesures symboliques comme la
première inspection conjointe des frontières
communes. Pour 2015 sont annoncées de
nouvelles manœuvres militaires à grande
échelle, dans le but avoué de rappeler
l’héritage de la Seconde guerre mondiale,
que les deux parties estiment en danger en
raison des lectures erronées qui cherchent à
minimiser le rôle de l’ancienne Union
soviétique dans la défaite du nazisme, ainsi
que la responsabilité du Japon dans les
agressions perpétrées en Asie.
La rencontre de Shanghai inaugure
indubitablement une nouvelle ère de
coopération et de construction, qui sera
probablement accompagnée d’initiatives
destinées à freiner les plans des
concurrents stratégiques qui misent sur une
politique de contention vis-à-vis de ces
deux pays, et entraînera une redéfinition de
l’architecture mondiale.
En Asie, les États-Unis sont partisans
d’un « rééquilibre stratégique » pour
contenir Pékin et manœuvrer autour de la
Russie pour empêcher la consolidation d’un
monde tripolaire. S’ils unissaient leurs
forces, la Chine et la Russie pourraient
jeter les bases d’un nouvel équilibre
stratégique mondial. (Fragments tirés de
Rebelion)