Mireya
Castañeda
LA Biennale de La Havane, un espace de confluence
et d’échange, de confrontation et de réflexion, qui
occupe une place d’une importance singulière sur la
scène internationale des arts plastiques, fête son
30e anniversaire.

À chaque Biennale,
la Havane se transforme en une galerie géante.
Cet événement culturel a ouvert la voie à la
recherche et à la diffusion de la richesse de l’art
contemporain d’Amérique latine et de la Caraïbe,
puis de l’Asie et de l’Afrique. Plus tard, elle a
élargi sa programmation à des artistes venus
d’Europe, des États-Unis et du Canada.
Selon le critique Nelson Herrera Ysla, « le
facteur incontestable qui a permis la création et le
développement de la Biennale fut la fondation de
l’institution qui allait lui donner son impulsion
jusqu’à nos jours, le Centre Wifredo Lam ».
Fondé en 1983, le Centre Lam, qui porte le nom de
l’un des peintres cubains majeurs du 20e siècle, a
été créé, précisément « avec comme objectif
essentiel d’effectuer des recherches sur la richesse
des expressions artistiques d’Amérique latine,
d’Afrique et l’Asie, et d’en faire la promotion ».
Depuis
le début, la Biennale a donné l’occasion au public
cubain, aux artistes, critiques, directeurs de
galeries d’art et collectionneurs d’entrer en
contact avec de nombreux créateurs, et elle a été en
même temps « une opportunité exceptionnelle pour la
promotion des œuvres cubaines », a souligné l’actuel
directeur du Centre Lam, Jorge Fernandez.
Il ne fait pas de doute que ce qui caractérise
cette grande rencontre de l’art plastique, c’est son
ouverture vers de nouveaux espaces, au-delà des
galeries, des musées et des centres d’art. Dès ses
premières éditions, la ville de La Havane s’est
transformée en une immense galerie : l’art s’est
installé dans les parcs, les places, sur les murs et
les façades des édifices.
Décrite avec raison comme un espace de
transgression, d’audace et de communication, la
Biennale a offert un très vaste éventail de
possibilités, depuis les œuvres les plus
traditionnelles des arts visuels, jusqu’aux
performances, aux présentations de vidéos, aux
contributions des technologies et des langages les
plus contemporains.
La Biennale a été une véritable vitrine pour
apprécier des œuvres de conceptions esthétiques et
formelles variées, qui invitent à confronter les
tendances de l’art actuel et à s’arrêter sur les
problèmes les plus pressants de notre époque.
Cela pourrait sembler absurde de fêter les 30 ans
de la Biennale cette année alors que la prochaine
Biennale aura lieu en 2015. La réponse est simple :
au début, la Biennale avait lieu tous les deux ans,
mais il ne fut pas aisé de maintenir une rencontre
de cette envergure durant les périodes économiques
difficiles. Les organisateurs y sont parvenus, mais…
tous les trois ans, tout en lui conservant le nom de
Biennale, qui s’était imposé dès le départ.

Un bref retour en arrière est nécessaire. La 1ère
Biennale de La Havane a ouvert ses portes en 1984,
et seuls des artistes latino-américains et caribéens
avaient été invités. Elle avait alors un caractère
compétitif et les œuvres primées furent celles
d’Arnold Belkin (Mexique), Carmelo Arden Quin,
(Uruguay), Branca de Olivera (Brésil), Alirio
Palacios (Venezuela), Fernell Franco (Colombie),
Roberto Fabelo et Rogelio Lopez Marin (Cuba).
Outre les œuvres en concours, d’importantes
expositions individuelles furent présentées : Jacobo
Borges, (Venezuela), Oswaldo Guayasamin (Équateur),
Roberto Matta (Chili) et Francisco Toledo (Mexique).
Un Colloque international sur l’œuvre de Wifredo
Lam eut lieu au Palais des Conventions, auquel
participèrent près de 800 artistes de 22 pays.
En 1986, la 2e Édition s’ouvrit à des pays
d’Afrique, du Moyen Orient et d’Asie. Près de 700
artistes de 56 pays y participèrent. Parmi les
lauréats figuraient Lani Maestro (Philippines),
Antonio Ole (Angola), Marta Palau (Mexique), Jogen
Chowdury (Inde), José Tola (Pérou) et José Bedia
(Cuba).
On put y voir également des expositions
individuelles de l’artiste haïtien résidant en
France, Hervé Télémaque, et de l’architecte
brésilien Oscar Niemeyer.
À partir de la 3e Biennale, en 1989, il fut
décidé de supprimer les prix et de structurer
l’événement autour d’axes thématiques. 300 artistes
de 41 pays répondirent à l’invitation sur le premier
thème Tradition et Contemporanéité.
La 4e Biennale, en 1991, appelait à réfléchir sur
Le Défi de l’art. Deux des expositions invitées :
les photographies peintes de l’Espagnol Carlos
Saura, et les immenses photographies du nord-américain
Spencer Tunick, obtinrent un réel succès.
Rappelons également une performance plastique
novatrice, Vis et laisse vivre, réalisée sur la
Plaza Vieja, dans le centre historique, par un des
artistes plasticiens cubains les plus renommés,
Alexis Leyva Machado (Kcho), qui entassa 13 000
briques en forme de petite barque, qu’il avait
fabriquées à l’Île de la Jeunesse, et que les
spectateurs emportèrent durant le temps de la
Biennale.
En 1994, la 5e Biennale proposa comme thème : Art,
Société et Réflexion ; la 6e, en 1997, eut comme axe
central L’individu et sa mémoire. Pour la première
fois, des créateurs européens et japonais y furent
invités.
L’un plus proche de l’autre fut le thème de la 7e
édition, en 2000. Des œuvres de 170 artistes de 44
pays furent exposées. La 8e Biennale, en 2003,
approfondissait le thème L’Art et la vie : les
artistes envahirent le quartier d’Alamar, à l’est de
la capitale, pour y transformer les logements dans
le cadre du projet culturel Bouger les choses. Plus
de 140 artistes de 48 pays participèrent à cette
édition.
La 9e édition, en 2006, eut pour thème Dynamiques
de la culture urbaine, avec plus de 130 artistes
invités de 50 pays. La 10e, en 2009, accueillit des
artistes du Canada et des États-Unis, sur le thème
Intégration et résistance à l’ère de la
mondialisation.
La 11e Biennale en 2012 réfléchit sur la question
Pratiques artistiques et imaginaires sociaux, et
étendit le champ de la création aux rues, théâtres
et places, en impliquant le spectateur.
On se souviendra du binôme russe-étasunien Ilya
et Emilia Kabakov, qui exposèrent Le navire de la
tolérance. Un bateau sur les voiles duquel 500
enfants avaient accroché des messages de paix et de
réconciliation. Le Navire est toujours installé dans
les jardins du Château de la Real Fuerza.
Une installation remarquable également : Les
voyageurs silencieux, du Colombien Rafael Gomez, qui
fit grimper plus de 600 fourmis sur la façade du
Théâtre Fausto, sur la promenade du Prado, qui
faisait écho à l’intervention de Roberto Fabelo,
prix national d’Arts plastiques 2004, sur la façade
du Musée des Beaux-arts, avec ses gigantesques
cafards : Les survivants.
La nouveauté de cette Biennale fut le projet
Derrière le mur, une série d’installations situées
sur le Malecon (boulevard de front de mer), que l’on
pouvait voir depuis la Punta jusqu’à la Tour de San
Lazaro, auquel participa une dizaine d’artistes.
À l’occasion du 30e anniversaire, une série
d’expositions a été organisée aux sièges habituels
de la Biennale : le Centre d’Art contemporain
Wifredo Lam, le Centre de développement des Arts
visuels, la Photothèque de Cuba, ainsi que le hall
du Musée national des Beaux-arts.
Jorge Fernandez, le directeur du Centre Lam et le
critique Nelson Herrera Ysla, ont expliqué lors d’un
point de presse que les diverses expositions
proposent une évocation des « biennales antérieures
à travers des coupures de presse, des catalogues,
des photographies, des documents et des vidéos
depuis les débuts de la Biennale ».
Une exposition à ne pas manquer qui occupe trois
des vastes salles du Centre Lam : La Biennale de La
Havane : un laboratoire vivant, avec plus de 200
œuvres, aux techniques et formats divers, d’artistes
qui ont participé à certaines des onze éditions, et
faisant partie de la Collection du Centre.
Le 30e anniversaire était accompagné d’une table
ronde consacrée à « une réflexion sur les trois
décennies de la Biennale qui a le mérite de s’être
maintenue tout au long de ces années depuis 1984,
malgré toutes les contingences et les crises », a
signalé Fernandez.
Depuis sa première édition en 1984, la Biennale
est devenue un rendez-vous indispensable des arts
visuels de Cuba et du monde. Ce n’est pas par hasard
si la célébration de son 30e anniversaire a
rassemblé autant d’artistes, de directeurs de
galerie et de critiques.
Dès maintenant, le compte à rebours pour
l’Édition 2015 a commencé.