Un ami aux portes
toujours ouvertes
Lisanka Gonzalez
Suarez / Photos Anabel Diaz Mena
ALORS que je me dirige tranquillement vers l’entrée
de l’Aquarium national, je repense aux informations lues
aux premières heures de la matinée. Certaines d’entre
elles préoccupantes : création d’un camp au Nord de la
Syrie pour l’entraînement d’enfants-suicide… étudiants
poignardés dans une école nord-américaine… Au moment où
je me demande les raisons de cette violence, un car
plein d’écoliers s’arrête devant moi, laissant descendre
un tourbillon d’enfants qui s’engagent sur le sentier
qui mène au bassin des loups de mer.
|

Le rêve de
Guillermo Garcia Montero, directeur de
l’Aquarium, est de terminer la
réhabilitation de l’aquarium et de lui
rendre sa splendeur d’antan. |
Une bousculade fraternelle les a certainement opposés
à l’approche du mammifère marin qui semblait les
attendre. En effet, lorsque j’arrivai, l’animal, tout en
remuant ses ailettes en signe de satisfaction, « donnait
un baiser » sur la joue d’un des plus jeunes enfants.
Cette scène attendrissante me ramène aux nouvelles
lues ce matin et je ne peux éviter de comparer la
situation des enfants cubains à celle d’enfants d’autres
pays, qui vivent dans un abandon total, privés des joies
de l’enfance, sans accès à la scolarité, travaillant
comme des adultes, se prostituant ou allant à la guerre.
Je pense également à ceux qui, même s’ils vivent dans
des pays développés, avec de bonnes conditions de vie,
manquent de la plus élémentaire sécurité, ce qui
constitue un réel problème pour leurs parents. C’est
pourquoi, certains parents décident d’envoyer leurs
enfants passer leurs vacances dans la famille, restée
sur cette petite île sous-développée de la Caraïbe, où
les enfants vont seuls à l’aquarium et jouent sans
danger dans les parcs de leur quartier.
L’Aquarium national que je visite aujourd’hui, a plus
d’un demi-siècle. Guillermo Garcia Montero, son
directeur depuis 24 ans, est lié à ce lieu, d’une
manière ou d’une autre, depuis sa fondation. Il se
souvient que l’idée de sa construction est née dès les
premiers mois du triomphe de la Révolution et qu’elle a
commencé à se matérialiser en juin 1959, quand l’équipe
de 6 à 7 compagnons qui travaillaient au projet ont créé
les laboratoires expérimentaux, établi des relations
avec d’autres aquariums dans le monde et passé des
contrats avec des entreprises étrangères pour acquérir
les matériaux nécessaires à sa construction.
|

Un couple
de dauphins dansant sur un air de boléro. |
C’est ainsi que le dimanche 23 janvier 1960, le petit
Aquarium, situé dans le quartier Miramar de la capitale,
a ouvert ses portes, avec un peu plus de 30 employés et
environ 1 500 exemplaires d’une centaines d’espèces
marines, avec pour objectif d’être un centre de
divulgation, de récréation et de science. Des objectifs
qu’il a conservées tout au long de ces 54 ans.
« À ce moment-là, l’Aquarium de Cuba fut le premier
de ce type construit en Amérique latine et un des
premiers dans le monde. En Europe, il n’y en avait que
deux ou trois, alors qu’au Japon et au États-Unis, il y
en avait beaucoup plus », affirme le directeur.
les assauts de LA NATURE
Depuis lors, l’Aquarium a connu de belles périodes et
des temps difficiles où il a fallu faire face à de
multiples problèmes matériels et pénuries, notamment
durant la Période spéciale des années 90, qui fut
particulièrement dure. On peut dire que les efforts ont
été payants.
|

Le « baiser
» de l’otarie. Un moment attendu par tous
les enfants. |
Par contre, avec la nature, c’est bien différent :
les inondations provoquées par les ouragans qui
traversent régulièrement la ville ont causé des dommages
importants à plusieurs installations de l’Aquarium.
Certaines ont été remplacées et d’autres sont en voie de
réparation, si bien que les projets en cours ont pris du
retard.
La première phase de la première étape de réparation
a pris fin en 2000, avec la construction de la nouvelle
entrée de l’Aquarium. Deux ans plus tard, ce fut
l’inauguration de nouveaux bassins, des aquariums, ainsi
que de plusieurs aires. En ce moment, de nouveaux
travaux sont en cours, comme l’agrandissement du centre
de biodiversité, une cafétéria d’une capacité de 400
personnes, ainsi qu’un centre d’éducation
environnementale, qui est à moitié terminé.
Malgré ces retards dans les réparations, l’Aquarium
accueille annuellement 550 000 visiteurs, un nombre qui
s’est maintenu au cours de ces 17 dernières années, avec
un pic de visites de 750 000 personnes lors de
l’inauguration de la seconde partie.
Aujourd’hui, les anciennes et les nouvelles
générations de techniciens, de spécialistes et
d’employés se heurtent à d’autres problèmes, si bien
qu’il est difficile de donner une date précise de fin
des travaux. « Je ne peux pas répondre à cette question
aujourd’hui. Nous allons démarrer la troisième phase qui
sera la construction d’un nouvel aquarium. »
C’est pourquoi, biologistes, techniciens, entraîneurs,
personnels de services et de restauration travaillent en
étroite coopération pour faire face à ce nouveau défi.
« Actuellement, il y a des aquariums seulement au
Brésil, en Argentine, au Mexique et au Venezuela, un
aquarium d’eau douce. D’aussi grand que celui-ci, je en
pense pas qu’il y en ait dans la région et pour ce qui
concerne les spectacles avec les dauphins et les loups
de mer, en plus des exhibitions que nous réalisons,
notre aquarium peut être considéré comme l’un des
meilleurs d’Amérique latine, indépendamment du fait
qu’aujourd’hui nous travaillons à la restauration de
l’ensemble des installations, et que les travaux vont
durer un ou deux ans », a dit le directeur.
ENTOURÉS PAR LA MER
L’aquarium est pionnier au niveau mondial dans la
mise en œuvre de programmes éducatifs qu’il organise
avec ses propres ressources. Un des exemples en sont les
Journées enfantines de la Science, qui sont organisées
depuis 1994, et auxquelles participent des enfants de
presque tout le pays. Par hasard, lors de notre visite à
l’aquarium se déroulaient les 19e Journées auxquelles
participaient 624 enfants, dont 274 de 11 provinces et
20 municipalités du centre du pays, et le reste de la
capitale.
Cette rencontre donne l’occasion aux enfants des
jardins d’enfants, des écoles primaires et secondaires,
des écoles spécialisées, d’art, de sport, de réaliser
des centaines de travaux : dessins, affiches, chants,
exposés, contes, céramiques, danses, multimédia, jeux
didactiques et autres sur le thème de l’environnement et
de sa communauté, dont la qualité de beaucoup d’entre
eux dépasse les attentes.
« Toutes ces activités sont exclusivement financées
par l’Aquarium. L’établissement est totalement
autosuffisant depuis 1997. Par contre, nous recevons une
subvention en monnaie nationale pour les travaux de
construction », souligne le directeur.
L’aquarium maintient des relations avec des
organismes internationaux, comme l’UNESCO, qui a offert
son aide pour des activités d’éducation environnementale,
les recherches et autres, mais non pour les activités
quotidiennes ni les investissements.
Le prix d’entrée est très bas pour le public cubain :
« Symbolique », dit-il. Il donne le droit de profiter de
certains des spectacles de très haute qualité. Les
entrées rapportent environ 8,5 à 9 millions de pesos par
an, auxquels s’ajoutent les entrées payées par les
touristes étrangers en pesos convertibles (CUC).
L’Aquarium national est le plus important de Cuba, et
même si les réparations ne sont pas achevées, il est
visité quotidiennement par des dizaines d’enfants, qui
traduisent leur plaisir en applaudissant longuement les
pirouettes des dauphins ou des loups marins,
récompensant ainsi les efforts des plus de 300 employés
qui rendent possible ce spectacle magique.
Et loin de s’attarder sur les travaux en cours, les
enfants n’ont d’yeux que pour les poissons, les plantes
aquatiques et la mer, qui parfois menace d’envahir de
nouveau ce point de la côte.
Ce ne sont plus les temps du phoque Silvia, héros de
mes enfants il y a environ 30 ans, dont mon père
présenta la photographie dans une exposition, alors
qu’il s’envolait presque de la piscine. Il n’est plus là,
ni le dauphin Diana qui se laissa capturer de nouveau
après avoir été rendu à la liberté, ni Yolanda son
entraîneur, ni le mirador, ni mon père… C’est une autre
époque, d’autres générations et un aquarium différent,
mais tous ceux qui l’ont apprécié lui en sont
reconnaissants.
La première femme entraîneuse :
Yolanda Alfonso Hernandez
Elle avait 18 ans lorsqu’elle est arrivée à
l’Aquarium comme auxiliaire de service. Peu après, elle
a travaillé à la cafétéria comme serveuse, puis elle a
été nommée gardienne.
|

Diana et
Yoly. |
Yolanda travailla dans différents services jusqu’à
l’arrivée des dauphins. Elle fut tellement fascinée par
leur long corps robuste qu’il lui était difficile de ne
pas suivre leurs mouvements à travers le mur de verre du
bassin. Sa curiosité attira l’attention de la direction
de l’Aquarium, si bien que lorsque 6 nouveaux dauphins
arrivèrent avec deux techniciens de l’Institut de la
pêche de Mexico, elle fut sélectionnée ainsi qu’un jeune
homme pour avoir une formation sur l’entraînement des
dauphins et des loups de mer. Ils ne lui faisaient pas
peur, cependant elle était impressionnée par leur regard
sous l’eau.
« C’est ainsi que nous sommes devenus les premiers
entraîneurs des dauphins Diana et Ciclon, que nous avons
libérés 11 ans plus tard. Nous les avons emmenés à un
point de la côte où se trouvait un banc de dauphins et
nous les avons relâchés. J’ai beaucoup pleuré. Au bout
de deux ans, nous avons de nouveau capturé Diana au même
endroit que la première fois, au Cayo Diana, à Varadero,
mais comme elle attendait des petits, nous l’avons
relâchée. »
En ce moment, il y a 8 dauphins et une douzaine
d’entraîneurs à l’Aquarium, dont certains ont été formés
par Yolanda et d’autres par des entraîneurs qu’elle a
formés.
Actuellement, Yolanda donne des cours d’éducation
environnementale, et au moment où je me suis entretenue
avec elle, elle évaluait les travaux sélectionnés pour
le concours de la Journée enfantine.
En dehors des cours et de ses autres activités, la
première entraîneuse féminine de l’Aquarium continue de
rendre visite aux dauphins qui, même si désormais elle
les connaît très bien, ne cessent pas de la fasciner.